THEATRE DU 18 EME
Comedia 18, troupe amateur de Championnet Loisirs, donnera deux représentations de la pièce Sokott la bête d’Eric Durnez, le samedi 13 juin 2009, à 16h et 20h30, au théâtre de l’Etoile du Nord. Mise en scène et scénographie de Françoise Kovacic.
L’entrée : 5 €. La moitié de la recette sera donnée à Championnet Solidarité qui permet à des enfants en difficulté du quartier de participer à des activités sportives ou culturelles de l’Association.
L’histoire : Dans un village dévasté par une guerre civile, un théâtre abandonné abrite quelques femmes, vieilles pour la plupart. A la veille de la "fête des moissons" qu’elles entendent célébrer selon la coutume, se prépare un sacrifice dont la victime désignée n’est autre que la Générale, femme de l’ex-dictateur Sokott. Mais survient un homme pour qui ce village ne semble pas avoir de secret… C’est souvent au cœur du drame que surgissent le rire et … l’espoir.
Etoile du Nord
16, rue Georgette Agutte
75018 Paris
Informations et réservations : 01 42 29 88 00 du mardi au samedi de 13h30 à 18h00 ou sur place.
de Eric Durnez
Sokott - tragédie farce - a été écrit dans le souvenir de la guerre d'épuration qui a déchiré l'ex-Yougoslavie. Mais la Belgique présente bien des analogies avec ce pays d'Europe centrale. Elle est, elle aussi, traversée de déchirements identitaires. La tentation du repli "nationaliste" - on devrait dire régionaliste - y est partout présente, plus ou moins larvée. La paix n'est qu'une apparence. Nous sommes en guerre. Les thèses extrémistes les plus inacceptables rencontrent un succès inquiétant au nord du pays. Les misérables contorsions stratégiques que leur opposent nos politiciens prêtent le plus souvent à rire. Mais sont-il autre chose que le reflet plus ou moins déformé de ce que nous sommes nous-mêmes ?
Le vingtième siècle a montré à suffisance que l'on ne faisait pas le bonheur des masses en négligeant celui des individus. Le système démocratique - le pire après tous les autres, selon Churchill - repose sur un équilibre instable entre la personne privée et l'intérêt collectif. Cet équilibre, on l'appelle " citoyen ". Tous les grands projets politiques - même les plus justes dans leur principe, comme le communisme, par exemple - se heurtent un jour ou l'autre à la peur. Cette peur irrationnelle de perdre - la vie, un enfant, des acquis, des privilèges,… - qui entraîne le besoin frénétique de posséder, de retenir, de réserver pour soi. Les pouvoirs totalitaires s'appuient sur cette peur, et sur ses corollaires incontournables que sont le rejet de l'autre, la soumission volontaire et la corruption. En ce sens on peut dire que c'est le peuple qui produit son dictateur. C'est la leçon d'Auschwitz et du Goulag. Mais aussi celle du Golfe, de l'Afghanistan, de la Tchétchénie, de l'Irak… La bête immonde est en nous. Elle ne meurt jamais. Le ventre fécond dont elle surgira, c'est le nôtre. Quels compromis sommes-nous prêts à accepter pour notre " sécurité " ? À quels aveuglements nous soumettons-nous par peur de l'autre ?
La peur est le vrai moteur de la farce. Cette peur de la mort, par exemple, qui pousse Orgon, les yeux fermés, dans les bras " rassurants " de Tartuffe. Il finira nu et défait. Dans la tragédie, l'aveuglement - ou, si l'on veut, la témérité - précède la stupeur. Oedipe commet sans le savoir le parricide et l'inceste. Lorsqu'il découvre la vérité, il se crève les yeux. Au fond, la distance est-elle si grande entre le héros tragique et le dindon de la farce ?
Si c'était ça la question essentielle : choisir lucidement sa place par rapport à la peur ?
Les réalités violentes évoquées dans ce spectacle - la guerre, le pouvoir totalitaire, l'exil, l'épuration ethnique,… - dépassent largement les limites de ce que nous pouvons montrer. C'est l'échec du théâtre : il est moins fort que la vie. C'est aussi sa victoire : il dit que la vie est plus importante que le théâtre. Nous ne sommes pas là pour montrer, mais pour représenter - au sens fort d'en être les représentants - une réalité qui échappe à toute " mise en scène ".
J'écoutais récemment un jeune créateur qui me posait des questions techniques sur la rédaction d'un dossier pour la commission d'aide aux projets théâtraux. Il me disait qu'il était inconcevable pour lui de réaliser son spectacle avec seulement des acteurs. Il lui fallait des gens. Derrière cette assertion un peu naïve se cache au fond une défiance assez répandue aujourd'hui vis-à-vis du théâtre. Elle n'est pas sans fondement quand celui-ci tente de faire croire à ses spectateurs qu'il est ce qu'il représente. Il ne s'agit pas de se composer un personnage, mais bien d'être là, avec un corps d'homme ou de femme qui porte sur lui les traces du temps et des vies traversés. Le visage de Suzy, de Nicole, de Monique, de Janine, de Carmela, de Jacqueline. Celui de Patrick, de Thierry, d'Emmanuel. Leurs yeux à eux dans le silence qui suit les mots. Tous les acteurs sont des gens. Ils boivent, mangent, souffrent, jouissent, ont du mal avec leur facture de gaz,… Les plus grands se laissent regarder tels qu'ils sont sur la scène. C'est alors qu'ils nous représentent le mieux. Il s'agit d'être vrais, pas vraisemblables.
Le journalisme part des effets pour remonter aux causes ; il va de l'événement à ce qui le génère. Le théâtre interroge les causes pour les renvoyer aux effets : il part de ce qui nous constitue en profondeur et qui débouchera sur l'événement tragique ou grotesque. L'acteur est un citoyen comme les autres. Simplement, c'est lui qui raconte les histoires. Il a la charge de la parole. D'autres se chargent du pain ou des tables. Alors il l'exhibe, cette parole qui renvoie à autre chose qu'elle-même. Pas comme on éclaire une statue. Comme on exhibe un monstre grotesque et tragique à la fois.
En espérant un écho dans la salle.
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